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Les armées de Napoléon
 
Le recrutement et les effectifs

La loi de conscription
 
Quelques mois avant le coup d'état du 18 Brumaire, Jourdan fait voter la Conscription par les assemblées du Directoire, destinée à régulariser la pratique de la réquisition datant de 1798. Tous les nommes âgés de 20 à 25 ans sont astreints au service militaire. En temps de paix la durée du service varie donc d'un à quatre ans selon l'âge de la classe appelée.

En temps de guerre aucune limitation n'est prévue mais des congés de libération peuvent être accordés. L'effectif du contingent à appeler est voté chaque année par les représentants de la nation. Les désignations se font par la voie du tirage au sort et le rachat est autorisé.
 
Dans l'esprit de ses promoteurs, la loi de la Conscription ne doit donner lieu qu'à des prélèvements modérés, mais elle ne fixe aucune limitation de nombre ni de durée, et Napoléon va l'utiliser pour lever des effectifs sans cesse grandissants. Ses méthodes de recrutement suivent sa politique générale, et peuvent être divisées en quatre périodes.

L’œuvre présentée ci-dessus, signée J
acques-Louis David, montre Napoléon dans son cabinet de travail en 1812.


Première période, de 1799 à 1802, début de la guerre d'Espagne
 
Durant cette première période, les besoins des armées sont modérés et Napoléon n'abuse pas du pouvoir que lui donne la loi de la Conscription. Les levées oscillent entre 30.000 et 40.000 hommes par an. Cependant les anciens soldats ne sont pas libérés.

Les effectifs des armées en campagne sont de l'ordre de 250.000 hommes, dont 130.000 en Allemagne avec Moreau pour la campagne de 1802, 40.000 à Gênes avec Masséna, et 60.000 en Piémont à Marengo avec Napoléon.
 
 
Deuxième période, de 1802 à 1808
 
Cette période voit un accroissement progressif des levées avec 60.000 hommes en 1803 et 65.000 en 1804. En 1805 80.000 hommes sont appelés, auxquels il faut en ajouter 100.000 autres, rappelés sur les classes précédentes. Cette même année, s’ajoutent 80.000 hommes supplémentaires, levés par avance sur la classe 1806. L'habitude est désormais prise de lever les classes par anticipation, et, en 1806 et 1807 on lève 80.000 hommes sur la classe suivante. L'effort demandé au recrutement dépasse déjà de plus de quatre fois l'effort maximum demandé par la Royauté.
 
Parallèlement 
les effectifs des troupes en campagne, dont le total dépasse 400.000 hommes en 1805 augmentent progressivement. Malgré cet accroissement des armées, le volume de troupes présentes sur le même champ de bataille reste relativement stationnaire. 70.000 hommes combattent à Austerlitz en 1805, illustrée ici par l’œuvre de François Gérard, et 80.000 à Friedland en 1807, en fonction de l'éloignement progressif des théâtres d'opérations et de l'allongement des lignes de communication.
 
En 1807 l'armée d'Allemagne dispose de 300.000 hommes dispersés du Rhin à la Vistule et, malgré son habileté dans la gestion des effectifs, Napoléon ne peut aligner que 89.000 hommes sur le champ de bataille de Friedland.
 
Les pertes dues aux combats, mais aussi aux maladies et à la fatigue, s’accroissent. C'est la rançon de la guerre de vitesse que Napoléon impose à ses troupes. Déjà à Austerlitz, illustrée ici avec combat de mélée de cavalerie par Giuseppe Rava, les pertes ont été lourdes, estimées à environ 1300 morts, 7000 blessés et près de 600 prisonniers, pour, il est vrai, le double de perte et 11.000 prisonniers chez l'ennemi.

Du camp de Boulogne en 1805 à la bataille de Friedland de 1807, les pertes s'élèvent à 285.000 hommes environ, composées de 35.000 tués, 150.000 blessés et 100.000 morts d'épuisement ou de maladie dans les hôpitaux d'Allemagne.
 
L'enthousiasme du pays 
s'éteint définitivement. "Un conscrit est un enfant perdu" dit-on dans le peuple. On a beau épargner les départements peu sûrs du Sud-ouest et du Midi, épargner aussi les classes dirigeantes car le rachat est toujours autorisé, les résistances s'accroissent et les pressions officielles de l'administration se multiplient. "Un préfet qui ne fait pas-marcher la conscription ne peut mériter la confiance impériale" écrit aux préfets le ministre de l'intérieur Fouché. Le nombre des réfractaires et des déserteurs s'accroît sans cesse. En 1805, pendant sa marche à travers la France, de Boulogne à Strasbourg, Napoléon fera flanquer et suivre ses colonnes par des gendarmes.
 
 
Troisième période, de 1808 à 1812, retraite de Russie
 
Durant cette période, Napoléon va demander un effort démesuré 
au pays, allant jusqu'à l'épuisement. En 1808, en dépit de la levée anticipée de 1807, on lève 240.000 hommes supplémentaires. 80.000 hommes sont rappelés des classes précédentes, 80.000 autres sont levés pour la classe 1809, et 80.000 pour la classe 1810. La guerre d'Espagne, ininterrompue depuis 1808, absorbe des effectifs qui ne seront jamais inférieurs à 250.000 hommes, et, à partir de 1811 c'est aussi la période des préparatifs d'invasion de la Russie. 
 
Après Wagram, en juillet 1809, on note un ralentissement passager. Ce sont les années glorieuses de l'Empire et l'époque du mariage autrichien. L'Europe est soumise, et seule l'Angleterre continue la lutte. Aussi, en 1809, 36.000 hommes seulement sont appelés et, en 1810, il n'y a pas de conscription. Mais on profite du répit pour chasser les réfractaires et on récupère ainsi 50.000 hommes qu'on envoie dans les camps de discipline des îles de l'ouest.
 
En 1811 les préparatifs d'invasion de la Russie entraînent une levée massive de 340.000 hommes. U
ne Garde Nationale est également mise sur pied pour être affectée à la surveillance du territoire français mais une partie de ses effectifs est envoyée pour renforcer les garnisons de l'Elbe. A cette époque, les levées annuelles de 40.000 hommes des débuts du consulat sont amplement dépassées. Les effectifs totaux des armées en campagne passent de 600.000 hommes en 1806 à plus d'un million en 1812.
 
Sans compter l'apport des détachements prussien et autrichien, la Grande Armée de la campagne de Russie dépasse 400.000 hommes, y compris les auxiliaires polonais, saxons, ou bavarois. Les effectifs présents sur le champ de bataille suivent une courbe parallèle et atteignent leur apogée à la bataille de Wagram en 1809 avec 187.000 hommes. L'illustration ci-contre de Giuseppe Rava montre une redoutable charge de cuirassiers français.
 
Mais les pertes effroyables de la campagne de Russie de 1812, annihilent ces efforts. Des 400.000 hommes passant le Niémen en juin 1812, plus de 150.000 d'entre eux ont déjà disparu avant l'arrivée à Moscou. 
A son retour à Posen, en Allemagne, le prince Eugène établi un état le 1er février 1813  évaluant les restes de la Grande Armée à 6.400 hommes. La quasi totalité des troupes engagées a été tuée, faite prisonnière ou s'est débandée. L'œuvre ci contre, peinte par J. Suchodolski montre la difficile traversée de la Berezina par la Grande Armée.
 
 
Quatrième période, de 1813 à 1815
 
C'est la période des expédients. En 1813 des mesures extrêmes sont mise en place comme l’appel anticipé des classes 1814 et 1815 ou le rappel des classes précédentes remontant jusqu'en 1803. Les garde nationaux sont décrétés volontaires pour servir dans les armées, tandis que l’on met sur pied des "gardes d'honneur" choisis parmi les bourgeois, même s'ils se sont déjà payé un remplaçant. L’ensemble de ces mesure permet la levée de 
700.000 hommes, dont les deux tiers ont moins de 20 ans.
 
Sans compter les armées impériales d’Espagne, du Portugal, d’Italie, ou de Hollande, la Grande Armée de 1813 compte 550.000 hommes dont 360.000 participent à la campagne de Saxe. Avec des troupes aussi peu instruites, les pertes sont énormes. A la bataille de Lützen, en mai 1813, un corps 
d'armée de 48.000 hommes perd en une journée 15.500 tués, blessés ou disparus.
 

A la bataille de Leipzig, illustrée ici par  Alexander Ivanovich Sauerweid, Napoléon peut encore aligner 135.000 hommes. Mais après cette défaite 80.000 Français seulement repassent le Rhin et La moitié se débande aussitôt. Une épidémie de typhus, le "typhus de Mayence", fait des ravages et provoque plus de 40.000 décès. De plus, les recrues sont non seulement peu instruites mais elles se font rares.

En 1814 pour sauver la France de l'invasion, Napoléon ne pourra plus réunir qu'une petite armée de 60.000 hommes face aux coalisés, rendant inutiles les prouesses stratégiques de la campagne de France. Pourtant l'armée suit toujours l'Emepreur avec admiration.comme l'illustre Giuseppe Rava .
 
A son retour de l'île d'Elbe en 1815, Napoléon retrouve ses vieux soldats d'Espagne et des restes importants des anciennes garnisons de l'Elbe, de l'Oder et de la Baltique. Ces troupes, alors encerclées, n'avaient pu participer à la campagne de France de 1814. L'Empereur réunit encore 290.000 hommes, dont 120.000 en Belgique et se présente 
à Waterloo avec 74.000 hommes. Ces quelques 300.000 hommes sont à peu près tout ce qui reste des anciennes armées de la Révolution et des 2.400.000 conscrits levés précédement. La défaite est française est décisive malgré le courage des derniers carrés de la garde, illustrée par Giuseppe Rava.
 
Les pertes dues aux guerres de la Révolution et de l'Empire sont difficiles à dénombrer exactement. Taine donne 1.000.000 de tués de 1792 à 1800, et 1.700.000 de 1804 à 1815. Ces chiffres prennent toute leur signification quand on les compare avec ceux de la population française, estimée à 25 millions d’habitants en 1788, 27 millions en 1807 et 30 millions en 1816.

 
Les contingents étrangers
 
Les effectifs des contingents étrangers et leur proportion par rapport aux français vont sans cesse croissant à partir de 1806 - 1807. Des levées sont ordonnées dans les départements annexés et des contingents imposés à tous les états vassaux ou alliés. En 1809 les divers états d'Allemagne fournissent 80.000 hommes, la Pologne 25.000 et l'armée d'Allemagne de 1809, qui combat à Wagram, comporte 70.000 étrangers pour 180.000 Français.
 
Sans compter les corps auxiliaires prussien 
et autrichien de 30.000 hommes chacun, l'armée envahissant la Russie en 1812 comprend, entre autres, plus de 40.000 Polonais, 28.000 Bavarois, 26.000 Saxons, 19.000 Westphaliens, et plus de 10.000 Italiens, soit en gros près de 150.000 étrangers pour environ 250.000 Français. Cet afflux d'étrangers dans les armées napoléoniennes entraîne une baisse considérable de la valeur de ces armées.
 
 
La troupe
 
Les conditions du soldat
 
Il ne faudrait pas juger de l'habillement des soldats de Napoléon, en fonction des images d'Epinal nous montrant les uniformes éclatants de la Garde, des cuirassiers, des hussards ou des lanciers. En réalité, exception faite pour certains corps d'élite comme la Garde, l'habillement du soldat reste médiocre, même 
s'il n'est plus aussi lamentable que sous la Révolution. Bien souvent, les chaussures et capotes manquent.
 
La solde est payée très irrégulièrement et un arriéré de 6 mois est chose courante. La rapidité des déplacements, l'insuffisance des moyens de transport et les malversations des commissaires rendent le ravitaillement des plus précaire en période d'opérations. La troupe vit 
de réquisitions et de rapines sur les pays qu'elle traverse. Même au cours d'une avance victorieuse, les morts par fatigue ou par épuisement sont nombreuses. Une retraite occasionne des hécatombes.
 

Le moral de la troupe
 
La France est dans son ensemble profondément pacifique. La nation se détache de son armée et le nombre de réfractaires est considérable. Chez le soldat lui-même, le désir de paix est profond. Le général Mouton ne craint pas de déclarer à Napoléon en 1805 que l'armée  "ne montrait tant d'ardeur la veille de le bataille que dans l'espoir d'en finir et de s'en retourner chez elle". Napoléon connait parfaitement cet état d'esprit.

En 1807, au cours d'une parade de l'armée à Berlin, alors que le générai prussien Mollendorf s'extasit "Voilà des troupes auxquelles il ne manque rien au monde!'', l’Empereur réplique "Oui, si l'on pouvait leur faire oublier qu'elles ont une patrie".
 
Cependant, ces troupes font preuve d'un moral extraordinaire résistant à toutes les épreuves. C'est principalement la conséquence de la suite ininterrompue de victoires qu'elles ont remportées à travers l'Europe, ainsi que du prestige personnel de Napoléon et à l'émulation qu'il sait entretenir dans son armée. L'illustration ci-dessus présente un grenadier en 1806-1807 d'après Forthoffer.
 

L'Empereur est passé maître en matière d'émulation. Il crée des récompenses, comme le chevron pour 5 ans de service et certains soldats en portent jusqu'à six. Il institue également les armes d'honneur, et surtout la Légion d'Honneur faisant en un sens du simple soldat l'égal du général. L'accès aux unités d'élite, comme la Garde, est très recherché.

Napoléon sait aussi donner une récompense et le fait le plus souvent sur le champ de bataille, en trouvant les mots qui conviennent. Etre remarqué par l'Empereur suffit au soldat pour qu'il donne sa vie. Enfin un avancement prodigieux autorise toutes les ambitions. Jusqu'aux dernières batailles le moral de l'armée restera bon en générél, comme l'illustre 
Giuseppe Rava dans cette vue de l'Empereur en 1814.
 
L'armée napoléonienne vit très en dehors de la nation. Son moral élevé ne se traduit pas par une exaltation de sentiments patriotiques comparable à celle de la Révolution, mais, le plus souvent, par un attachement inébranlable à la personne même de l'Empereur.
 
 
La discipline
 
Il est difficile de juger de la discipline de cette armée. La subsistance n'étant pas assurée, la maraude y sévit en permanence. Pendant toutes les marches, les soldats quittent leur unité parfois pendant plusieurs jours et se dispersent dans les environs, donnant à la progression générale un aspect de "déroute en avant" surprenant si fort Autrichiens et Prussiens.
 
Le respect hiérarchique est souvent faible. 
Dans le désordre de certains cantonnements, nombre d'officiers généraux sont insultés la nuit et l'Empereur lui-même entend parfois des murmures. En revanche, les officiers sont très exigeants sur la tenue et le soldat, dont l'uniforme est souvent minable, se livre à des prodiges d'astiquage. Enfin la subordination est absolue au combat. Les troupes de la Garde, comme le montre cette illustration de Giuseppe Rava, sont particulièrement solides et disciplinées. Bien entendu, cette notion de discipline est sans commune mesure avec celle que nous connaissons de nos jours.
 
 
L’instruction du soldat
 
L'instruction théorique du jeune soldat est à peu près nulle. Le système d’écrémage pour les corps d’élite, comme la garde, forte de plus de 50.000 hommes en 1813, ne fait qu’aggraver cette condition. Les dépôts, en général interarmes, envoient le jeune conscrit à son corps aussitôt qu'il est équipé.

Cette planche, comme d'autres illustrations de cette page, est issue des superbes dessins du docteur Lienhert et de René Humbert. Celle-ci présente quelques éléments de la Garde.
 
Dans les unités, l'ancien soldat apprend 
son métier aux jeunes recrues. Jusqu'en 1808, ce système rudimentaire donne de bons résultats tant que la proportion d'anciens soldats est importante. Mais l'afflux des jeunes conscrits entraîne ensuite une baisse continue du niveau d'instruction de la troupe. En 1813, l'armée reçoit des recrues n'ayant que 15 jours d'instruction. Il n'existe qu'une seule tentative d'établir un programme d'instruction à l'époque du camp de Boulogne, menée très inégalement selon les divisions.
 
 
Les cadres
 
Le recrutement et la formation
 
Napoléon hérite des cadres solides et expérimentés de la Révolution. Les généraux et colonels sont jeunes, les commandants d'âge moyen et les officiers subalternes sont âgés et expérimentés. Plus de la moitié des officiers supérieurs a commencé sa carrière dans l'armée royale. Le rajeunissement de la tête assure "une direction vigoureuse et intelligente en même temps que les vieux serviteurs demeurés dans les grades subalternes apporteront une perfection rare dans les détails du combat" déclare Colin.
 
Mais les pertes nombreuses des guerres de l'Empire et l'augmentation incessante des effectifs des armées entraînent des nominations d'officiers en nombre sans cesse croissant, comme celui-ci, à la tête de ses voltigeurs, signé 
Giuseppe Rava. Le recrutement des cadres au sein de la troupe se révèle insuffisant. Napoléon fonde alors, pour les diverses armes, les écoles de Fontainebleau, Saint-Cyr, Metz, ou Chalons, mais le nombre des candidats est insuffisant.

La bourgeoisie se rachète et ce qui reste de la noblesse se dérobe. La nation est séparée de son armée et lui refuse ses élites. On recourt alors à toutes les pressions possibles, jusqu'à l'envoi d'office de jeunes gens dans les Ecoles militaires. "
Faites moi dresser une liste de dix des principales familles par département et de 50 pour Paris. Mon intention est de prendre un décret pour envoyer à Saint-Cyr tous les jeunes gens de ces familles, âgés de plus de 16 ans et de moins de 18 ans", écrit l'Empereur à Fouché
 
Après les années 1808 – 1809, cette situation engendre une baisse continue de la qualité de l'encadrement. Elle devient catastrophique après les désastres de Russie de 1812. Le 25 avril 1813 Napoléon écrit d'Erfurt au Ministre de la guerre "Je viens de voir le 37e d'infanterie légère. Il est impossible de voir un plus beau corps en soldats, mais il est impossible en même temps d'en voir un plus mauvais en officiers. Si votre bureau avait pris pour tâche de nommer les officiers les plus inaptes de France, il n'aurait pas mieux réussi. Ces officiers sont la risée des soldats. Je vais être obligé de destituer et de renvoyer tous ces officiers. Vous m'envoyez aussi des jeunes gens qui sortent des collèges et qui ne sont pas allés à l'Ecole de Saint-Cyr de manière qu'ils ne savent rien et c'est dans les nouveaux régiments que vous les placez".

Le 5 mai 1813, trois jours après la bataille de Lutzen, illustrée ici par l’œuvre de Louis-François Couche
, L'Empereur écrit "Je me trouve sur le champ de bataille sans officiers. D'ailleurs la campagne en usera beaucoup, il faut donc en avoir pour les remplacer sans faire des avancements trop rapides et qui n'atteignent pas le but".
 
 
Les cadres supérieurs
 
Napoléon attache une telle importance à la rapidité qu'il est possible de se demander si cette préoccupation n'est pas, plus encore que son orgueil, la raison principale de sa singulière méthode de commandement. Il réduit au minimum, voir il supprime tout intermédiaire le séparant des exécutants. L'Etat-major se borne à rédiger et à transmettre ses lettres personnelles et il n’y a pas d'ordre général exposant l'ensemble de la manœuvre. Chacun ne sait que ce qui concerne immédiatement ses propres mouvements. "Personne ne connaît sa pensée" écrira Ney en 1807, et le chef d'Etat-major Berthier prétendra qu'il n'est "rien dans l'armée".
 
Les généraux deviennent de simples exécutants. 
Napoléon se désintéresse de leur formation et ils sont inaccoutumés à prendre des initiatives. Aussi, à part quelques exceptions comme Davout, Lannes, Masséna ou même Soult, l'ensemble des généraux de l'Empire ne s'élève pas au dessus du niveau d'un bon général de division.

Tant que les armées se réduisent à quelques divisions, le système de commandement de Napoléon donne de bons résultats, mais quand l'augmentation des effectifs entraîne la création du corps d'armée, en 1805, et de l'armée, en 1812, les faiblesses d'un tel système se révélent. La valeur des officiers sera toujours aléatoire, et ne peut se juger qu'au front. Le problème restera d'ailleurs récurant. L'illustration ci-contre, signée Philippoteaux présente un maréchal d'Empire et son aide de camp en 1812.

Fort heureusement, certains cadres supérieurs possèdent de grandes qualités tactiques et savent entrainer leurs hommes, comme Joachim Murat, ancien officier de la Révolution, et passé maitre dans les 
manœuvres de cavalerie. Il remporte de nombreuses victoire, et manque même de peu de capturer l'empereur d'Autriche à Vienne en 1805.

Il se couvre de gloire sous l'Empire à Austerlitz. A Eylau en 1807, alors qu'il n'a que 40 ans, il conduit lui même, comme l'illustre Giuseppe Rava ici, l'une des plus grandes charge de cavalerie de l'Histoire européenne, forte de plus de 10.000 hommes, et l'attaque est décisive.
 

 
La valeur des armées de Napoléon
 
A son accès au pouvoir, Napoléon dispose d'une excellente armée. Il la perfectionne encore et elle arrive à son apogée au cours des campagnes de 1805 à Austerlitz, 1806 à Iéna, illustrée ici par Horace Vernet, et 1807 à Friedland. Mais à partir de 1808, de nombreuses causes se conjuguent pour amener un déclin progressif de la valeur des troupes. Seul le moral reste remarquable jusqu'au bout.
 
Parmi les causes du déclin on peut citer la baisse du niveau d'instruction de la troupe, la baisse de qualité des cadres subalternes, l'accroissement des effectifs, amenant à donner aux cadres supérieurs des commandements et des initiatives qui les dépassent, l'augmentation de la proportion d'éléments étrangers, ainsi que l'essoufflement économique de la nation. Il faut aussi signaler les progrès de l'ennemi qui s'est mis à l'école des Français. 
 
Sans schématiser à l'extrême, il est donc possible de diviser la période napoléonienne en  deux phases. Jusqu'en 1808, c'est la phase ascendante, suivie ensuite par celle du déclin. Le génie de Napoléon reste intact, mais l'outil qu'il manie s'est usé entre ses mains.


L’organisation des armées
 
Les grandes unités
 

Napoléon, peint ici par Edouard Detaille pendant le siège de Toulon de 1793,  acquiert l'expérience du combat pendant les guerres de la révolution. Il hérite ensuite du système divisionnaire des armées de la Révolution, regroupant l’infanterie, la cavalerie et l’artillerie dans des unités constituées. Toutes les troupes sont alors endivisionnées.

Dès la campagne d'Italie l'Empereur se constitue une réserve d'armée en cavalerie et en artillerie par prélèvement sur les divisions. Plus tard il sépare infanterie de la cavalerie pour former deux types de divisions. La division d'infanterie est constituée d’infanterie et d’artillerie, et celle de cavalerie regroupe cavalerie et artillerie. Cette réorganisation met à profit les progrès de mobilité de l'artillerie à cheval pour disposer d'unités puissantes et mobiles sur le champ de bataille.
 
La division d'infanterie comprend alors en général deux brigades de deux régiments d'infanterie et deux compagnies d'artillerie de 6 pièces, l'une à cheval et l’autre à pied. Son effectif varie entre 7.000 et 10.000 hommes.

L'accroissement des effectifs des armées impose la constitution d'unités d'un échelon supérieur à la division et le corps d'armée est définitivement adopté en 1805. Il comprend de deux à quatre divisions d'infanterie,  souvent complétées d'une division de cavalerie et d'un bataillon de sapeurs, montré ici en compagnie d'un tambour par Philippoteaux.
 
Il existe en outre à cette date, à l'échelon de l'armée, une réserve de cavalerie de quatre à huit divisions de différents type, comme ces chasseurs à chaval montrés par
 Giuseppe Rava en reconnaissance. La Garde n'est jamais incluse dans un corps d'armée, elle sert de réserve générale. Von der Goltz définit le corps d'armée napoléonien dans « La Nation armée » en disant "le corps d'armée est l'effectif des 3 armes, qui peut marcher sur une seule route et se déployer en avant le même jour pour livrer bataille".
 
En 1812 au cours de la campagne de Russie l'échelon de l'armée apparait en fonction de l'importance des effectifs engagés. Même si cette notion reste assez floue, les différents corps d'armée sont alors regroupés en armées. Napoléon emploie d'ailleurs indistinctement les termes d'armée et de corps d'armée, et le commandant d'une armée conserve également celui de son corps d'armée.

La faiblesse des moyens de transmission de l'époque rend en effet presque impossible la coordination des mouvements de plusieurs armées sur un même théâtre d'opérations. L'échelon de l'armée n'existera réellement qu'après l'apparition du télégraphe.
 
 
L’infanterie
 
En 1803, les demi-brigades de l'armée révolutionnaire reprennent leur ancien nom de régiment. A cette époque, il existe 90 régiments d'infanterie de ligne et 26 d'infanterie légère, ne différant des premiers que par certains détails d'habillement et par les missions qu'on leur donne. Leur armement et équipement sont identiques, comme l'illustre cette présentation signée Bellangé.

L'accroissement des effectifs entraîne ensuite une augmentation du nombre de régiments. En 1813, il existe 35 régiments de la Garde regroupant la vieille Garde et la jeune Garde, 135 régiments d'infanterie de ligne et 35 d'infanterie légère.

Le régiment possède un nombre variable de bataillons, souvent répartis sur différents théâtres d'opérations, en Espagne, en Italie, ou en Allemagne par exemple. Jusqu'en 1808, le bataillon se compose de 9 compagnies, pour être ensuite réduit à 6, afin d’augmenter leur nombre.

L'infanterie reste de loin l'arme la plus présente sur le champ de bataille. Elle tient les lignes, et son organisation divisionnaire lui donne une souplesse d'emploi sans équivalence au sein des armées ennemies.
 
 
La cavalerie
 
La cavalerie, pratiquement inexistante pendant la Révolution, est réorganisée sous l'Empire et comprend entre 80 et 90 régiments. En 1803, année de la réapparition de la cuirasse, il existe 2 régiments de carabiniers, 12 de cuirassiers, 30 de dragons, 28 de chasseurs et 10 de hussards, regroupés en brigades de 2 à 4 régiments. En juin 1812, la Grande Armée de Russie compte environ 60.000 cavaliers pour 355.000 fantassins.

La cavalerie, arme de choc, est bien illustrée par 
Claude Benigny avec cette charge du 1er régiment d'éclaireurs de la garde impériale. La puissance de feu de l'infanterie peut arrêter une charge de cavalerie, mais encore faut il qu'elle soit solide et disciplinée. Dans bien des cas la cavalerie est une arme décisive, mettant à profit les effets des autres armes sur le champ de bataille.
 
 
L’artillerie
 
L'organisation de l'artillerie reste dans l'ensemble identique à ce qu'elle était à la fin de la période révolutionnaire. Le nombre de compagnies à cheval s'accroît néanmoins, au détriment de celui des compagnies à pied, en fonction des avantages de mobilité offerts par par la première sur la seconde. En 1811, la Grande Armée dispose de 67 compagnies d'artillerie dont 36 à cheval.
 
Dès 1800, la création du train d'artillerie composé d’attelages et de conducteurs militaires supprime la faiblesse de l'organisation ancienne et permet d'amener les pièces attelées jusque sur la ligne de feu. 
En 1812, la Grande Armée en Russie dispose d'une artillerie considérable de 1200 canons. 

La proportion des pièces varie de deux à quatre pour 1000 hommes et l'importance de l'artillerie tenue en réserve décroît. La dotation de munitions, prévue à l'origine par Gribeauval à 200 coups par canon, en fonction du maintient d'une partie des pièces en réserve, devient insuffisant et le nombre de coups par pièce est élevé progressivement à 300.
 
Chaque corps d'armée se constitue une réserve d'artillerie, prélevée sur l'artillerie de ses divisions. Celle de la Garde constitue généralement la réserve de l'armée, utilisée en fonction des évènements, comme par exemple 
à Wagram lorsqu’elle compose la "grande batterie". Signalons enfin la réapparition de l'artillerie régimentaire en 1811 avec deux pièces par régiment d'infanterie.

L'artillerie est l'une des clés des nombreuses victoires de l'Empire. Napoléon, ancien officier d'artillerie, sait parfaitement tirer les avantages de la grande mobilité des compagnies à cheval.
 
 
Le ravitaillement
 
Le  ravitaillement des armées en campagne a toujours été l'un des points faibles des armées de Napoléon. Les transports de vivres n'arrivent pas à soutenir la rapidité de la marche des troupes et tous les essais de constitution de magasins n'ont donné lieu qu'à des résultats médiocres. Déjà en 1805, avant Ulm, Napoléon disait "Dans une saison où il n'y aurait point de pommes de terre dans les champs, ou si l'armée éprouvait quelque revers, le défaut de magasins nous conduirait aux plus grands malheurs."
 

Les souffrances des armées restent supportables tant que les marches victorieuses se situent à travers les pays fertiles de l'Europe centrale. Déjà à cette époque, les chariots régimentaires, comme celui-ci, signé Giussepe Rava, sont insuffisants. Mais en Russie, ou l’armée tzariste applique la tactique de la "terre brûlée" les difficultés du ravitaillement deviennent insurmontables. Pour cette campagne, Napoléon avait cependant constitué d'importants magasins et n'avait commencé l'invasion qu'en juin, afin de permettre aux chevaux de trouver du fourrage sur le pays. Mais dès le début, les hécatombes effroyables de chevaux paralysent les transports et la pénurie du ravitaillement transforme la retraite en déroute.

La campagne de Russie de 1812 est l'exemple le plus frappant des faiblesses des services de ravitaillement. La famine va elle aussi décimer les troupes françaises et leur infliger des dizaines de milliers de morts. Les services de ravitaillement dont l'efficacité est déjà très relative sous l'ancien régime, sont parfaitement incapables de s'adapter à la taille des armées de l'Empire. Il faudra attendre la démocratisation du chemin de fer pour commencer à trouver des solutions efficaces et surtout plus adaptées au volume de marchandises de tous type nécessaires à une armée moderne en campagne.



 
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